Un projet artistique, sociétal et politique.

Créé en 1979 par Luc Boulangé, le Créahm est une association dont l'objectif est de révéler et de déployer des formes d'art produites par des personnes handicapées mentales. Pour ce faire, le Créahm a mis en place des ateliers de création animés par des praticiens en arts plastiques et en arts vivants, inscrivant ainsi son projet dans un cadre pleinement artistique, et non pas thérapeutique ou occupationnel. L'originalité et l'importance de cette démarche, du point de vue artistique, mais également sociétal et politique, sont aujourd'hui encore au centre des objectifs poursuivis par le Créahm. Les structures qui, par la suite, en sont nées, le Centre de jour Créahm Liège (1994) et le Madmusée (2003), devenu en 2020 le Trinkhallmuseum, constituent avec les ateliers, ce que nous appelons le « Grand Créahm » et relèvent du même projet d'ensemble.

Un projet artistique

La définition de l'art « en marge » ou « différencié » reste, heureusement, imprécise. En vérité, l'art qui se conçoit et se pratique au Créahm ne se « définit » pas, mais se caractérise d'abord par les dispositifs de création et de médiation propres aux ateliers.

Il ne s'agit ni de « l'art des fous » (Prinzhorn, par exemple), ni de "L'art brut » (Dubuffet), tels qu'ils furent longtemps pensés, au XXe siècle, comme l'expression d'une altérité absolue, étrangère aux codes de l'art et au monde de la culture.

Au contraire, les ateliers du Créahm rendent possibles des formes de création nouvelles qui entrent d'emblée en résonnance avec l'ensemble du champ artistique. Ces formes de création se situent aux marges des modèles institués, certes, mais dans la perspective pleinement assumée d'une médiation, dont la collaboration entre les animateurs et les participants aux ateliers est l'un des principaux moyens. Nulle « extériorité radicale», donc, nul « exotisme » et nul imaginaire d'un monde expressif qui serait étranger à la culture, mais des dispositifs de création, mais des modes d'expression, mais des identités artistiques d'une extrême richesse et dont le caractère singulier – la beauté, la force, l'énergie -, procède autant de l'écart dont ils témoignent que des liens qui les nourrissent. La périphérie culturelle où paraissent se tenir les créations du Créahm est aussi le lieu privilégié d'où le centre est interrogé et rendu visible !

Dans la même volonté d'un déploiement artistique, le Grand Créahm diffuse et promeut, non seulement les oeuvres réalisées en son sein, mais également les arts en marge en général. Les expositions et les spectacles du Créahm, les activités du Madmusée, les publications, les Rencontres Internationales du Créahm, les nombreux partenariats qui s'inventent et se renouvellent d'année en année, sont les instruments de ce travail essentiel de promotion et de diffusion. Celui-ci correspond à une nouvelle forme de médiation en laquelle les arts « différenciés » deviennent interlocuteurs à part entière du monde de l'art.

Un projet sociétal

L'objectif poursuivi par le Créahm est pleinement artistique. Il est aussi, indissociablement, sociétal puisqu'il vise une meilleure intégration de la personne handicapée dans le champ social.

L'action du Créahm s'inscrit dans la perspective d'un accompagnement global de la personne handicapée. De ce point de vue, le travail en ateliers, s'il ne répond pas à une fonction thérapeutique, participe cependant pleinement au développement de la personne et à son épanouissement en qualité de sujet. Il sollicite au long terme les participants dans un projet personnel de création. Ce faisant, il permet le développement de nouvelles formes d'expression ; il renforce l'estime de soi ; il rend possible la construction intérieure d'une identité en laquelle le handicap n'est plus un frein, ni un stigmate, mais le lieu propre d'un déploiement individuel. Depuis 1994, la création du centre de jour associé au Créahm (CJCL) constitue, avec les ateliers, le cadre idéal permettant d'assurer et de réfléchir cet accompagnement dans les meilleures conditions.

L'attention accordée par le Créahm à la diffusion et à la promotion des oeuvres, quant à elle, en créant les conditions sociales et culturelles d'une véritable reconnaissance, contribue très puissamment à ce processus de constitution et de renforcement des identités. Tous, sans doute, ne sont pas invités à exposer leur travail et tous ne deviendront pas comédiens. Les aptitudes et les fortes sensibilités artistiques sont, ici comme ailleurs, inégalement partagées. Mais, fût-ce par l'intermédiaire privilégié de la notoriété de quelques-uns, ce mouvement plus large de reconnaissance affecte très favorablement la conscience de soi de tous les participants aux ateliers du Créahm. Plus généralement encore, il contribue à modifier sensiblement la perception collective de la personne handicapée.

Un projet politique

Enfin, pour toutes les raisons qui viennent d'être dites, les objectifs poursuivis par le Créahm sont aussi politiques, au sens le plus large du terme. Ils reposent en effet sur la volonté de défendre les droits de la personne handicapée, notamment ses droits à la culture, à l'expression et à la défense de ses aptitudes créatrices. Plus largement, ils correspondent à l'espoir et à la volonté d'une société où la différence soit, véritablement, accueillie. Non pas de manière convenue, ni mièvre, ni aveugle ; mais au contraire lucide, responsable et solidaire : une société où la différence – ici celle du handicap mental -, ne soit pas aplanie ni reléguée, mais pleinement manifestée en son pouvoir de création et de questionnement. Chacune des actions du Créahm est l'illustration militante de ce projet et, depuis trente ans, le lieu où s'inventent au quotidien les outils de médiation qui le rendent possible.